Intitulée Réflexivités satiriques, la deuxième séance s’est déroulée sous la présidence de Ségolène Le Men, professeure à l’Université Paris Ouest. Le XIXe siècle y était à l’honneur. Kathryn Desplanques, doctorante en histoire de l’art à l’Université Duke, a d’abord pris la parole en attaquant de front la thématique de la séance. Sa présentation portait sur l’autoréflexivité des albums comiques de lithographie publiés en France pendant la Restauration (1814-1830). Elle y a plus précisément analysé les procédés de mise en scène des éditeurs, des illustrateurs et du public dans ces images satiriques. Les éditeurs Gihaut Frères sont particulièrement présents dans l’iconographie se servant de leur propre image, parfois peu flatteuse, comme une stratégie d’auto-promotion publicitaire utilisant l’auto-dérision. Dans cette même optique, l’estampe ridiculise aussi le public bourgeois qui semble être inconscient de ces manœuvres et avide de nouvelles images. En ridiculisant ainsi les différents acteurs de la chaine de production de la lithographie, l’estampe me en scène ce qui est appelée par la chercheure, «la blague du commerce».
Sandro Morachioli, chargé de recherches au Laboratorio di Documentazione Storico-Artistica de la Scuola Normale Superiore de Pise, a ensuite pris la parole. Son exposé se concentrait sur les personnifications graphiques des journaux au XIXe siècle, phénomène qui voit le jour en France surtout à partir de période de la Restauration (Le Nain Jaune, 1814), même si des précurseurs se signalent dès la Révolution pour être adopté dans la presse satirique de la plupart des autres pays européens (que l’on pense au Punch or the London Charivari de Londres, dès 1841). Cette stratégie graphique, en plus d’offrir aux publications un moyen d’affirmer leur identité et leurs opinions éditoriales, devient un véritable vecteur pour la satire alors que les figures se retrouvent à l’intérieur même des caricatures. Les personnifications voguent ainsi entre prise de position politique et image de marque produisant une valeur commerciale.
Patricia Mainardi, professeure émérite de la City University de New York, a quant à elle expliqué comment la caricature a permis, au XIXe siècle, de montrer au public les dessous des ateliers et des studios d’art. En effet, alors que l’engouement pour la peinture réaliste se fait peu à peu sentir, les caricaturistes révèlent (par exemple, dans les Salons caricaturaux) les processus techniques déployés dans les ateliers d’artistes. Les caricaturistes exposent les béquilles et autres cordons utilisés par les peintres classiques afin de permettre à leur modèle de tenir des poses exigeantes. Ils représentent aussi les expéditions des peintres réalistes cherchant à peindre sur le motif. Ainsi la satire tient un dialogue complexe sur l’art de son époque qui nous aide à comprendre les modes et mouvements en plus de montrer les stratégies de production de l’art.
Par la suite, Miyuki Aoki-Girardelli de l’Istanbul Technical University a présenté la production caricaturale de l’architecte japonais Itō Chūta (1867-1954). Reconnu pour ses réflexions théoriques sur les liens entre l’architecture traditionnelle japonaise et la Grèce antique, Chūta a tenu tout au long de sa vie un journal écrit et dessiné. Regroupé en neuf volumes sous le titre de Field notes, ce journal est rempli de dessins, d’analyses architecturales et de remarques anthropologiques compilés lors des nombreux voyages de Chuta. En plus d’être un moyen de contrer la solitude, cette pratique devient pour lui la façon de contrôler ses angoisses et son inquiétude. Ces dernières se reflètent dans ses dessins représentant diables, monstres et animaux. Ainsi, la pratique personnelle de Chūta lui a permis de développer un goût pour la satire. Il a créé des séries de cartes postales présentant des caricatures portant une vision globale sur le monde et la société niponne et qui sont emplies d’interrogations sur les échanges politiques et artistiques entre l’est et l’ouest.
Enfin, le doctorant Morgan Labar de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a clos cette première journée en proposant une réflexion sur la bêtise dans l’art des années 1980. Pour le chercheur, ce qui est ‘bête’ se situe à un point limite du satirique, dans un régime de l’absurde, et doit se comprendre vis-à-vis des horizons d’attente habituels du monde de l’art. Sa démonstration s’appuyait sur les œuvres de l’allemand Martin Kippenberger (1953-1997) et du collectif français Présence Panchounette (1968-1990). Ces deux pratiques artistiques ont eu en commun la déstabilisation du spectateur par le recours aux codes de l’art et de son marché. Alors que Kippenberger utilisait beaucoup le symbolique pour démontrer la faillite de sens de l’art, Présence Panchounette allait vers le vulgaire, le trivial ou le calembour afin de dénoncer la bêtise du monde de l’art. Dans les deux cas, un comique langagier s’alliait au comique inscrit dans la démarche visuelle. Au terme de la présentation, Labar a souligné que la bêtise exige encore une réflexion majeure en tant que mode du satirique.