Colloque L’Image railleuse : Sixième séance

Synthèse et table ronde

Le colloque s’est conclu par une synthèse. Les coorganisateurs Laurent Baridon, Frédérique Desbuissons et Dominic Hardy ont pris parole. Ceux-ci ont souligné la complexité et la diversité de la satire graphique en tant que champ d’étude. Le colloque permet ainsi d’établir un réseau de chercheurs en histoire de l’art qui pourra enrichir la réflexion et devenir un terrain d’accueil pour les jeunes chercheurs intéressés à la satire graphique et à la satire visuelle. De plus, la mise sur pied d’un tel réseau permet de créer une infrastructure de diffusion de la recherche, et de réfléchir à un vocabulaire critique, autour de la satire visuelle.

Martine Mauvieux, responsable du dessin de presse au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale de France et l’artiste Clément de Gaulejac se sont joints aux trois organisateurs pour une table ronde. Mme Mauvieux a souligné la récente mise en valeur des dessins de presse originaux, entre autres à la BnF, ainsi que l’importance des outils virtuels dans ce travail. Ainsi, la mise sur pied formelle d’un réseau d’études de la satire graphique pourrait aussi servir à repérer les lieux où se trouvent les différentes collections d’images satiriques. M. de Gaulejac est quant à lui revenu sur l’importance du commentaire politique dans la satire, mais surtout sur la capacité du satirique à être un créateur de liens, pour s’adresser à – et construire – des communautés.

Malgré la diversité des sujets abordés lors du colloque, un constat est clair : la question du pouvoir, qu’il soit moral, politique ou social, est toujours au cœur de la satire. Qu’elle soit humoristique ou non, celle-ci participe à la vie culturelle de toute société.

Colloque L’Image railleuse : Cinquième séance

Séance 5 – Créativités satiriques

La dernière séance de présentations formelles avait pour thème Créativités satiriques. Valentine Toutain-Quittelier, docteure en histoire de l’art de l’Université Paris-Sorbonne a examiné les différentes satires qui commentaient la crise financière européenne de 1720. La valeur des billets de banque s’effondraient alors que les riches, manquant de confiance dans le nouveau système, retiraient leur or des banques. Cette crise qui a particulièrement touché le nord de l’Europe a produit des réactions satiriques reprenant les motifs d’agitateurs, de la fortune et la thématique de la scatologie. La figure de John Law, instigateur du système, rejoignait quant à elle l’image populaire du diable. Ce corpus satirique montre les réseaux et les échanges entre des pays comme la Hollande, la France, l’Allemagne et l’Angleterre et présente la satire graphique sur papier comme une entreprise à succès.

Le professeur de français et d’études texte/image de l’université de Glasgow Laurence Grove a suivi en parlant de la publication le Glasgow Looking Glass, un journal satirique qui aurait publié en 1825 la première bande dessinée de l’ère industrielle. La publication, largement disponible dans les clubs à boire, était composée en grande partie de caricatures de mœurs, de dessins satirisant des événements spécifiques et de jeux de mots. La présentation de M. Grove rappelle avant tout que l’histoire ne se fait pas que dans les grands centres et qu’il faut parfois fouiller dans les publications secondaires pour arriver à écrire l’histoire complète d’un médium comme la bande dessinée.

Ensuite, Frank Knoery, doctorant à l’Université Lyon II, a présenté l’œuvre de John Heartfield. L’artiste allemand a réalisé une grande quantité de photomontage dans la première moitié du XXe siècle. Grâce aux travaux du collectionneur Edvard Fuches, Heartfield avait une bonne connaissance des lithographies d’Honoré Daumier et il s’en est largement inspiré pour créer ses propres œuvres. Celles-ci sont le plus souvent très politiques et témoignent de l’antifascisme d’Heartfield. Bien que le photomontage soit le plus souvent associé au mouvement dada, Heartfield reprend plutôt la puissance réaliste permise par la photographie et amenée par Daumier afin de la coupler à des déformations satiriques. Heartfield va même jusqu’à citer Daumier, entre autres grâce au motif du ciseau et de la censure. Ainsi, l’artiste satirique crée un pont entre la France du XIXe siècle et l’Allemagne du XXe siècle.

Julie-Anne Godin-Laverdière, doctorante en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, a quant à elle analysé la censure de l’œuvre La Famille de Robert Roussil en 1949. En effet, l’œuvre a été saisie par la police alors qu’elle s’était retrouvée sans permission devant le Musée des beaux-arts de Montréal. La sculpture qui représente un homme, une femme et un enfant a été mise en fourgon puis amenée au poste où le sexe de l’homme a été recouvert d’une culotte. Ici, c’est la réception de cette affaire dans les journaux qui devient satirique, alors que de nombreux journalistes se moquent de l’arrestation et l’humanisation de la statue afin de dénoncer l’acte de censure. L’artiste s’empare aussi de l’événement afin de parodier le système judiciaire. Au final, le traitement par les autorités de La Famille aura servi à attirer l’attention sur le travail de l’artiste et sur son œuvre qui appartient désormais à la collection du Musée des beaux-arts de Montréal.

La doctorante de l’Université du Québec à Montréal Josée Desforges a, pour sa part, proposé de penser la notion de satire en utilisant le concept de cadre. En tant qu’élément de transfert ou de passage, le cadre permet d’appuyer la position ou la relation qu’à la satire avec l’élément qu’elle référence. Ainsi, la satire en elle-même, en tant qu’objet fini, rend implicite un hors-cadre auquel elle renvoie. De plus, les événements ou concepts qui sont mentionnés dans la caricature peuvent à leur tour être perçus comme autant de cadres à part entière. Finalement, le motif du cadre en lui-même deviendrait un moyen pour le satiriste d’impliciter un champ entier de référence, que ce soit l’art ou le pouvoir. Bref, la satire ou la caricature se comprend comme un jeu de cadre mettant en scène références, débordements et juxtapositions.

Enfin, l’artiste Clément de Gaulejac est venu clore cette séance. Il a présenté sa propre pratique satirique qui est née d’un désir d’engagement lors de la grève étudiante de 2012 au Québec. Son désir premier était de mettre en image les discours de la classe dirigeante afin d’exprimer une position politique claire et sans équivoque. Ce travail a engendré la création d’une centaine d’images dont certaines ont été transformées en affiches lors des nombreuses manifestations. Ainsi, les dessins deviennent l’expression d’un discours politique véhiculé sur les réseaux sociaux, dans la rue et même à l’occasion dans les journaux télévisés par l’entremise des images des manifestations. Pour l’artiste, le défi est de créer une banque de stéréotypes visuels qui permettra au public de reconnaitre rapidement les sujets et les discours représentés. Ainsi, même si les aléas de l’actualité éloignent sa pratique d’une certaine pérennité, le discours, la clarté et la reconnaissance restent mises en valeur.

Colloque l’Image railleuse : Quatrième séance

Séance 4 – Violences satiriques

Professeure d’histoire de l’art à l’UQAM, Peggy Davis a présidé la quatrième séance du colloque, intitulée Violences satiriques. Le roman graphique a d’abord été a l’honneur grâce à la présentation de Brigitte Friant-Kesler, Maître de Conférences à l’Université de Valenciennes, qui a présenté le travail de bédéiste de Matt Rowson qui a adapté le pamphlet anglais Gulliver’s Travels en projetant le célèbre récit dans le monde politique contemporain. Rowson offre une signature graphique très inspirée de William Hogarth et de James Gillray dans ses dessins très noirs. Sou ouvrage se lit comme une dystopie orwellienne mettant en scène l’ancien premier ministre Tony Blair et ses politiques sur l’Irak. La bande dessinée fait beaucoup recours aux thématiques de la scatologie et de la digestion, présentes aussi dans le texte original, afin de démontrer l’impossibilité de l’auteur de digérer le discours politique dominant. Les différents corps sont malmenés et violentés; les tabous de l’homme et de la bestialité sont explorés et transgressés.

Diplômée d’un doctorat en histoire de l’art de l’Université de Strasbourg, Barbara Stentz a elle aussi étudié le corps violenté, cette fois-ci en analysant le motif du pressoir à travers les époques. Sa recherche met de l’avant le rapport de force inégale induit par l’utilisation du pressoir. Ainsi, le pressoir est généralement associé à un instrument punitif de vengeance qui maltraite les corps des vaincus ou des mécréants. Le motif semble aussi être redondant dans des thématiques de corruption ou le pouvoir passe au pressoir les impôts des contribuables. Une déclinaison importante du motif apparaît avec les journaux, la presse d’imprimerie se substituant au pressoir agricole. C’est un autre rapport de force qui y est représenté, celui de la liberté de la presse et des opinions sur la censure. Ainsi, l’instrument de torture, d’agriculture ou d’impression reste toujours symbole d’oppression et de pouvoir.

Annie Gérin, professeure d’histoire de l’art à l’UQAM, a ensuite montré comment la satire peut devenir une véritable arme de combat dans sa discussion des travaux théoriques sur l’humour d’Anatolie Lounatcharski et des fenêtres ROSTA dans l’Union soviétique des années 1919-1920. Pour Lounatcharski, l’art est avant tout un fait social et peut agir comme un catalyseur d’influence. La satire intégrée à l’art sert d’outil percutant, car le rire comporte deux fonctions importantes. La fonction psychosociologique permet d’évacuer une énergie nerveuse et un sentiment d’agressivité. La fonction sociale du rire fait quant à elle voir la supériorité sociale du rieur. Elle montre que la victoire est déjà acquise. Gérin a exemplifié ces théories par les fenêtres ROSTA, outils de propagande très efficaces, qui utilisaient les stratégies de la caricature afin de diffuser les discours des bolchéviques et ainsi anticiper la victoire de la révolution.

Enfin, la professeure à l’Université Paris Ouest Ségolène Le Men a conclu la séance en étudiant une lithographie d’Honoré Daumier devenue canonique en histoire de l’art: La Rue Transnonain, 15 avril 1834. Montrant trois dépouilles dans une chambre parisienne, saccagée par des soldats français dans les suites d’une émeute,  l’image emprunte les codes de la peinture d’histoire et de la peinture religieuse. L’horreur de la scène anticipe un spectateur heurté et offusqué par les actions répressives du régime. Cependant, l’image, qui veut avoir une portée sociale et politique, est diffusée selon les mêmes procédés que la caricature, soit en agencement avec un feuillet d’explication. Ainsi, Daumier, qui est connu comme un caricaturiste, élève son œuvre, et du même coup la caricature, au rang d’art majeur.

Colloque l’image railleuse : Troisième séance

Séance 3 – Normes et modèles

La deuxième journée du colloque s’est ouverte avec la séance Normes et Modèles présidée par Annie Gérin (UQAM). Kate Grandjouan, professeur invité à l’Université de Belgrade, a débuté en présentant la place mineure, mais néanmoins régulière de la satire et de la caricature dans les salons anglais de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Après avoir souligné qu’amateur et professionnel se partageaient les Salons en Angleterre, Mme Grandjouan a présenté des œuvres d’Henry Bunbury et de Thomas Rowlandson. Malgré sa présence dans les salons, la satire graphique reste un art mineur et l’artiste doit, pour s’assurer que son œuvre soit considérée comme un objet d’art précieux, utiliser les codes graphiques de l’art établi. Ainsi, Rowlandson travaille avec précision l’architecture de ses estampes, les colore et privilégie les grands formats afin de tenter de s’établir comme un artiste reconnu. De son côté, Bunbury reste collé au modèle de l’aristocrate amateur avec ses dessins qui satirisent les grandes vues de ville tout en présentant certaines maladresses techniques.

Les conventions de l’art et sa définition se sont aussi retrouvées au cœur de la présentation de Frédéric Le Gouriérec, de l’université de Poitiers, dont la spécialité de recherche est l’art chinois. Le chercheur a démontré que la satire graphique en Chine relève de la tradition de l’art lettré. Celui-ci se démarque de l’art de cour, reconnu avant tout pour ses qualités techniques et ses sujets servant soit sa propension décorative, soit son rôle de propagande. L’art lettré se définit plutôt dans le plaisir de sa production qu’aux fins de sa réception. Il se lit par référence aux codes de l’art et à l’application des traits. Lorsqu’il y a satire, celle-ci se comprend grâce au jeu de ces éléments. À mille lieues des définitions de l’art occidental, l’art chinois se déploie donc à travers le temps comme un système codé et précis, ou la satire se retrouve beaucoup plus dans la technique que dans la thématique.

Par la suite, Aylin Koçunyan, chercheure à l’Institut français d’études anatoliennes, a mené l’audience entre l’Occident et l’Asie en s’intéressant à la caricature ottomane à partir de 1850. La Turquie voit l’émergence de la caricature avant tout dans la presse d’opposition. Elle reflète donc les grands problèmes sociétaux à travers les années et est utilisée comme un véritable moyen de confrontation avec le pouvoir en place. Alors que les pressions de la censure sont très importantes pendant près d’un siècle, la satire ottomane pose la question de la pertinence de l’humour comme moyen d’éducation. Elle devient le lieu ou la presse peut s’exprimer et expliquer la répression qu’elle subit. Dessinateurs ottomans et étrangers publient tour à tour dans la presse d’opposition, toujours en soulignant les particularités politiques du monde culturel et politique turc.

Juliette Bertron, doctorante de l’Université de Bourgogne, s’éloigne pour sa part des enjeux politiques de la satire afin d’étudier l’utilisation de la parodie et de l’autoportrait dans la pratique artistique de trois artistes : Eduardo Arroyo, Peter Saul et Maurizio Cattelan. Les trois hommes se servent de ces procédés afin de se poser en héritier, mais aussi pour se démarquer de leur modèle, soit, respectivement, Velasquez, Duchamp et Beuys. En parodiant leur maitre, les artistes se satirisent eux-mêmes et posent une réflexion autant sur leur propre pratique que sur l’histoire de l’art. Aroyo, Saul et Cattelan mettent de l’avant les thématiques autant que les médiums et les techniques de leurs modèles en regard des leurs afin, avant tout, d’exprimer leur propre identité.

Finalement, Jean-Philippe Uzel, professeur d’histoire de l’art à l’UQAM, a présenté le travail du peintre autochtone canadien Kent Monkman. Ce dernier a créé beaucoup d’œuvres comiques qui s’attaquent à l’image de l’amérindien et de l’indianité. L’artiste parsème ses œuvres de références visuelles qui ont marqué soit l’histoire de l’art, soit la mythologie de l’Amérindien créé par l’homme blanc. Ainsi, Monkman tente d’inverser le regard et de montrer au spectateur sa propre récupération des images qui ont fondé la colonisation. Il intègre son point de vue en commentant l’histoire de façon visuelle. L’œuvre de Monkman se base donc sur les principes satiriques de la référenciation et de la citation. Le spectateur doit savoir reconnaître les codes utilisés par l’artiste pour avoir accès au sens de l’œuvre.