Colloque L’Image railleuse : Cinquième séance

Séance 5 – Créativités satiriques

La dernière séance de présentations formelles avait pour thème Créativités satiriques. Valentine Toutain-Quittelier, docteure en histoire de l’art de l’Université Paris-Sorbonne a examiné les différentes satires qui commentaient la crise financière européenne de 1720. La valeur des billets de banque s’effondraient alors que les riches, manquant de confiance dans le nouveau système, retiraient leur or des banques. Cette crise qui a particulièrement touché le nord de l’Europe a produit des réactions satiriques reprenant les motifs d’agitateurs, de la fortune et la thématique de la scatologie. La figure de John Law, instigateur du système, rejoignait quant à elle l’image populaire du diable. Ce corpus satirique montre les réseaux et les échanges entre des pays comme la Hollande, la France, l’Allemagne et l’Angleterre et présente la satire graphique sur papier comme une entreprise à succès.

Le professeur de français et d’études texte/image de l’université de Glasgow Laurence Grove a suivi en parlant de la publication le Glasgow Looking Glass, un journal satirique qui aurait publié en 1825 la première bande dessinée de l’ère industrielle. La publication, largement disponible dans les clubs à boire, était composée en grande partie de caricatures de mœurs, de dessins satirisant des événements spécifiques et de jeux de mots. La présentation de M. Grove rappelle avant tout que l’histoire ne se fait pas que dans les grands centres et qu’il faut parfois fouiller dans les publications secondaires pour arriver à écrire l’histoire complète d’un médium comme la bande dessinée.

Ensuite, Frank Knoery, doctorant à l’Université Lyon II, a présenté l’œuvre de John Heartfield. L’artiste allemand a réalisé une grande quantité de photomontage dans la première moitié du XXe siècle. Grâce aux travaux du collectionneur Edvard Fuches, Heartfield avait une bonne connaissance des lithographies d’Honoré Daumier et il s’en est largement inspiré pour créer ses propres œuvres. Celles-ci sont le plus souvent très politiques et témoignent de l’antifascisme d’Heartfield. Bien que le photomontage soit le plus souvent associé au mouvement dada, Heartfield reprend plutôt la puissance réaliste permise par la photographie et amenée par Daumier afin de la coupler à des déformations satiriques. Heartfield va même jusqu’à citer Daumier, entre autres grâce au motif du ciseau et de la censure. Ainsi, l’artiste satirique crée un pont entre la France du XIXe siècle et l’Allemagne du XXe siècle.

Julie-Anne Godin-Laverdière, doctorante en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, a quant à elle analysé la censure de l’œuvre La Famille de Robert Roussil en 1949. En effet, l’œuvre a été saisie par la police alors qu’elle s’était retrouvée sans permission devant le Musée des beaux-arts de Montréal. La sculpture qui représente un homme, une femme et un enfant a été mise en fourgon puis amenée au poste où le sexe de l’homme a été recouvert d’une culotte. Ici, c’est la réception de cette affaire dans les journaux qui devient satirique, alors que de nombreux journalistes se moquent de l’arrestation et l’humanisation de la statue afin de dénoncer l’acte de censure. L’artiste s’empare aussi de l’événement afin de parodier le système judiciaire. Au final, le traitement par les autorités de La Famille aura servi à attirer l’attention sur le travail de l’artiste et sur son œuvre qui appartient désormais à la collection du Musée des beaux-arts de Montréal.

La doctorante de l’Université du Québec à Montréal Josée Desforges a, pour sa part, proposé de penser la notion de satire en utilisant le concept de cadre. En tant qu’élément de transfert ou de passage, le cadre permet d’appuyer la position ou la relation qu’à la satire avec l’élément qu’elle référence. Ainsi, la satire en elle-même, en tant qu’objet fini, rend implicite un hors-cadre auquel elle renvoie. De plus, les événements ou concepts qui sont mentionnés dans la caricature peuvent à leur tour être perçus comme autant de cadres à part entière. Finalement, le motif du cadre en lui-même deviendrait un moyen pour le satiriste d’impliciter un champ entier de référence, que ce soit l’art ou le pouvoir. Bref, la satire ou la caricature se comprend comme un jeu de cadre mettant en scène références, débordements et juxtapositions.

Enfin, l’artiste Clément de Gaulejac est venu clore cette séance. Il a présenté sa propre pratique satirique qui est née d’un désir d’engagement lors de la grève étudiante de 2012 au Québec. Son désir premier était de mettre en image les discours de la classe dirigeante afin d’exprimer une position politique claire et sans équivoque. Ce travail a engendré la création d’une centaine d’images dont certaines ont été transformées en affiches lors des nombreuses manifestations. Ainsi, les dessins deviennent l’expression d’un discours politique véhiculé sur les réseaux sociaux, dans la rue et même à l’occasion dans les journaux télévisés par l’entremise des images des manifestations. Pour l’artiste, le défi est de créer une banque de stéréotypes visuels qui permettra au public de reconnaitre rapidement les sujets et les discours représentés. Ainsi, même si les aléas de l’actualité éloignent sa pratique d’une certaine pérennité, le discours, la clarté et la reconnaissance restent mises en valeur.

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